Déjà les Égyptiennes recourent aux cosmétiques 2 500 ans avant Jésus-Christ, tandis que les Crétoises, à la même période, portent des dessous ressemblant un peu au corset. Ce dernier connaîtra, d’ailleurs, un règne florissant au moins six siècles durant, étranglant telle partie du corps, comprimant telle autre, rembourrant une troisième pour modeler la femme selon les fantasmes de l'époque. Bref, la recherche de la beauté idéale n’a rien d’une quête nouvelle pour la gente féminine si l’on jette un rapide coup d’oeil en arrière.
Depuis l’Antiquité, les médecins ont tendance à considérer les femmes comme des mâles manqués puisqu’elles ne possèderaient aucun organe en propre, mais seulement de pâles répliques. Dans son traité sur "Les maladies des femmes", 400 ans avant Jésus-Christ, Hippocrate, le célèbre praticien grec, décrit le corps féminin comme fait « d’une chair plus lâche et plus molle que l’homme ».
Éternelle enfant, cette femme devra donc être protégée tout au long de sa vie, et ne pourra exercer son libre arbitre. Au XVIIIe siècle, le discours médical change, mais les préjugés demeurent. Il s’agit alors au contraire d’établir des différences physiologiques très claires entre les deux sexes. Les anatomistes considèrent, par exemple, le crâne féminin plus petit tandis que le bassin féminin serait beaucoup plus large. Ils ne voient donc le corps féminin que sous l’angle de la maternité.
En fait, cet idéal femme plantureuse, capable d’enfanter une nombreuse marmaille, s’affiche dès le XVIe siècle sur les murs des châteaux et des palais. Les toiles des grands maîtres jouent alors le rôle de panneaux publicitaires du temps. Le peintre flamand Rubens met à la mode des beautés souvent obèses à nos yeux, peut-être pour mieux souligner l’opulence des Pays-Bas après cinquante ans de guerres civiles et religieuses.
L’Italie, elle aussi puissante et riche, lui emboîte le pas alors que l’embonpoint témoigne de la fortune des oisifs, libres de s’adonner aux plaisirs de la table et débarrassés des tâches physiques. Selon les canons en vogue, à cette époque, la femme idéale possède des hanches plus larges que les épaules, afin notamment de souligner la finesse de sa taille surmontée d’un fort buste, comme le rappelle Philippe Perrot : Le travail des apparences ou les transformations du corps féminin au XVIIIe – XIXe siècles. Pour parvenir à se conformer à cette mode, les femmes doivent porter une véritable armature, soit un corset.
La description de ces corsets faits en toile piquée, en bois, en laiton, en fer, en argent, selon l’époque et les moyens financiers de sa propriétaire, fait parfois frémir. Entre le vertugadin qui fait bouffer la jupe, la basquine qui étrangle la taille en faisant saillir des seins toujours prêts à s’échapper du corsage et l’utilisation de paniers de plusieurs mètres de circonférence pour donner des hanches démesurées, la silhouette semble enfermée dans une véritable prison.
La mode d’alors se moque bien des côtes brisées ou des évanouissements à répétition des dames de la noblesse, en mettant l’accent, pendant plusieurs siècles, sur l’opulence des hanches et des seins. Ils sont autant de signes triomphants de la maternité.
Selon l’ethnologue Suzanne Marchand, il existe un lien indéniable entre la mode vestimentaire et le degré d’autonomie des femmes. « Au cours de l’histoire occidentale, les rares périodes où l’idéal de beauté correspondait assez fidèlement aux proportions naturelles du corps féminin semblent aller de pair avec une participation active des femmes à la vie sexuelle et politique » explique-telle. « Le respect des lignes naturelles du corps traduit l’aspiration à un monde idéal et égalitaire », remarque l’ethnologue.
Il faut attendre les années folles au lendemain de la Première Guerre mondiale pour que les normes en matière d’image corporelle féminine changent radicalement, grâce notamment à l’abandon du corset. L’usage de ce lourd appareillage ne convient plus à des femmes qui doivent remplacer à l’usine ou aux champs les hommes partis se battre.
En 1917, l’industrie de guerre américaine lance un appel aux Américaines pour qu’elles renoncent à acheter des corsets à baleine d’acier afin de récupérer ce métal. 28 000 tonnes d’acier seront ainsi économisées, de quoi construire deux navires de guerre ! Ce changement de formes féminines a bien sûr des répercussions immédiates sur le vêtement.
L’historienne de la mode, Catherine Ormen, raconte que ainsi débarrassée du corset, la silhouette de la femme devient tubulaire et que « la haute couture impose la ligne tonneau en 1916 qui dissimule les rondeurs ». Peu à peu, les couturiers dévoilent des parties du corps jamais montrées, la cheville en 1916, et même le mollet dès 1918.
Dans son passionnant essai "Rouge à lèvres et pantalon", Suzanne Marchand raconte comment au Québec l’industrialisation et l’arrivée des premiers magazines féminins, ainsi que celle des vedettes féminines des films américains contribuent à la mise en place d’une nouvelle norme esthétique. Désormais, il faut être mince et non plus bien enrobé. « C’est prouvé qu’on peut s’offrir des aliments plus fins (poissons, légumes verts, fruits) moins caloriques et surtout plus chers, précise l’ethnologue. C’est aussi démontré qu’on dispose de moyens nécessaires pour consacrer une partie de son temps à l’exercice physique. En somme au XXe siècle, la minceur est un luxe qui symbolise le prestige social. »
Lyne Mongeau, conseillère scientifique à l’unité des habitudes de vie de l’Institut national de santé publique du Québec, abonde dans le même sens, elle qui a récemment tracé un portrait de l’évolution des régimes alimentaires pour rédiger sa thèse de doctorat portant sur le programme "Choisir de maigrir" qu’elle a fondé. La chercheuse a ainsi constaté que certains médecins suggèrent aux femmes de moins manger dès le XVIIIe siècle, mais que ce diktat alimentaire devient véritablement une norme au XXe siècle. À la même époque, les femmes consultent régulièrement leur gynécologue. « L’abandon du corset joue aussi un rôle pour atteindre cet idéal de minceur », explique-telle. « Les femmes tentent en effet de modifier de l’intérieur un corps aux formes soulignées par le vêtement. D’autant plus que les préférences des couturiers et des designers ne vont pas nécessairement vers les rondeurs. »
La suite plus récente, on la connaît. Le retour des femmes aux poitrines proéminentes dans les années 50 comme Marilyn Monroe, Jane Mansfield, les Bunnies, souvent vêtues de bustiers et de guêpières marquant leur taille.
L’aube des années 70 et le mouvement hippie, voient les femmes se débarrasser des gaines et soutiens-gorge pour afficher librement leur silhouette. Bienvenue maintenant dans le troisième millénaire, où la courbe en S a la cote.
Une femme élancée et mince arbore une poitrine et des fesses plantureuses. Un idéal bien difficile à atteindre, même avec la meilleure volonté sportive, ce qui ouvre la porte à la chirurgie esthétique.
« Autrefois les femmes portaient des corsets, aujourd’hui elles se font opérer » conclut Suzanne Marchand un peu tristement.
Après le Botox, la liposuccion, la pose d’implants, etc., pouvons- nous même imaginer à quoi les femmes devront se soumettre pour correspondre aux critères de beauté définis par l’industrie ?