Loin d'avoir percé les secrets et la manière dont les gens fonctionnent, je me suis rendu compte que tout ce que j'ai pu voir de la Chine n'était que la partie émergée de l'iceberg. La seule chose, que je peux affirmer, est que, pour vraiment comprendre la Chine, il faut y vivre de nombreuses années.
La première chose à savoir, c'est que la Chine ne fonctionne pas comme l'Europe. La Chine est une culture multi-millénaire. En Europe et au Proche-Orient, il y a des Etats qui existent depuis 5000 ans, mais aucune civilisation n'a survécu "continuellement" jusqu'à nos jours. Ce n'est pas le cas ici, puisque l'Etat Chinois existe depuis environ 4000 ans. Avec des succès divers, certes, mais il s'agit toujours du même pays.
Cet état de fait a un fort impact sur la mentalité Chinoise. Pour eux, leur pays est vraiment le centre de l'humanité, et rien de ce qui s'est passé dans le monde ces derniers millénaires n'est digne de lui être comparé. Pour autant le pays ne s'est jamais vraiment remis de la défaite subie au XIXème lorsque l'Empire s'est retrouvé impuissant face aux troupes occidentales, et dépecer par ces puissances. Aujourd'hui encore, il court pour rattraper ce retard unique dans son histoire. Mais pour la première fois, la Chine n'est plus le centre du monde.
Le Japon, moins convaincu de sa superiorité, n'a pas raté le train de la modernisation. Il est aujourd'hui à la fois envié et détesté par la Chine. Mais, un Chinois vous dira juste qu'il n'aime pas le Japon. L'absence d'excuse pour les atrocités commises pendant la guerre n'arrange évidemment pas les choses. Pour autant, dans son objectif de rattraper l'Occident, la Chine est prête à bien plus de concessions vis-à-vis de sa culture que le Japon n'a pu en faire. Un exemple : les Chinois travaillant dans des boîtes occidentales adoptent un deuxième prénom anglophone pour le travail. Qui serait prêt à renoncer à son prénom pour ça ? Le meilleur moyen d'appréhender ce phénomène est encore de savoir qu'ici "apprendre" et "copier" ne sont qu'un seul et même verbe.
Les Chinois sont préoccupés du sort de leur pays, et ont conscience que la situation dans les campagnes est bien pire que dans les villes. Ils ont pris au pied de la lettre le fameux "Enrichissez-vous!" de Deng Xiaoping, et pensent que leur travail contribue à l'amélioration globale du pays. L'environnement est aussi un sujet d'inquiétude. Je ne suis pas sûr que les actions du gouvernement en ce sens soient efficaces, mais au moins la prise de conscience a eu lieu.
En ce qui concerne la mentalité des Chinois, je dirais que le maître-mot est "indifférence". Le mot est à utiliser avec précaution. Une collègue, qui me demandait ce que je pensais des Chinois, et, à qui j'avais fait cette réponse, n'était pas d'accord. Toutefois, elle admettait que les occidentaux étaient plus directs. Il est possible que je prenne pour de l'indifférence quelque chose qui n'en est pas, et qui relèverait plutôt d'une manière de vivre en société et de survivre face à un état qui a toujours fait peu de cas de la vie de ses Coolies/citoyens.
Les relations sociales sont régies par le concept du "perdre la face". Etre poli en Chine, c'est ne pas faire perdre la face à son interlocuteur. Toute action qui entraîne une baisse dans l'estime de ses pairs fait perdre la face. Idem au Japon.
J'avais lu un exemple à ce sujet. Un occidental voulait acheter un gâteau dans une patisserie, mais le vendeur lui répondait que "ça n'était pas possible et qu'"il ferait mieux d'en choisir un autre". En bon occidental sûr de son bon droit, celui-ci insiste. Le vendeur, de plus en plus gêné, continue pourtant à lui faire la même réponse. Finalement, l'occidental se rend compte que le gâteau est en plastique et qu'il n'est là que pour décorer.
La surveillance du net est une réalité : impossible d'accéder au site d'amnesty international par exemple, ou bien aux articles de wikipedia sur la République Populaire. Pour ce que j'ai pu en voir, les Chinois ne se sentent pas du tout concerné par le fait que leur pays soit une dictature. Je me demande même parfois s'ils le savent. Mao reste vu comme quelqu'un manquant certes de retenu, mais pas foncièrement mauvais. Et il est toujours vénéré dans les campagnes, à ce qu'on m'en a dit. Selon les estimations, Mao est directement responsable de la mort de 50 à 70 millions de Chinois.
En tout cas, la situation rentre très clairement dans la catégorie "on n'y peut rien". Même à Hong-Kong, la tendance est au renforcement du contrôle par l'Etat. Rien ne semble indiquer une quelconque évolution vers la démocratie pour les années à venir. De toute façon, tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes, puisqu'au Tibet "il n'y a pas de conflit". D'ailleurs, je devais tenir mes informations des media de mon pays, puisqu'ici tout le monde sait que la situation s'améliore là-bas "grâce au tourisme". Le pire dans tout ça c'est que je ne suis pas sûr qu'ils puissent imaginer que les nouvelles d'ici pourraient ne pas être vraies.
Une exception à celà : Hong-Kong justement. Les Hong-Kongais à qui j'ai parlé n'ont pas leur langue dans leur poche, et sont parfaitement au courant de la situation. Mais ce n'est pas pour autant que la situation là-bas prend le chemin de la démocratie.
Je jouis d'une bonne image auprès de mes collègues car je mange chinois avec eux, je vais voir le musée, je suis poli (c'est à dire que j'évite les sujets qui fâchent, qui pourraient m'amener à devoir leur démontrer en quoi leur gouvernement leur ment). Bref à leur yeux je "respecte la Chine" comme on me l'a dit. Ceci est en partie dû à la différence entre mon comportement et celui de mes supérieurs, toujours prompts à critiquer la Chine et ses habitants - voir à ce sujet les articles "travailler en Chine" et "expat" - ne les cherchez pas je ne les ai pas encore écrits. Mais dans la rue c'est la grande indifférence. Ici personne ne dit bonjour en rentrant dans un magasin ou en parlant à un guichetier. D'ailleurs, celui-ci vous rendra votre monnaie en la jettant. Personne ne s'excuse lors de la bousculade biquotidienne pour monter et descendre du bus. Et si vous cherchez votre chemin et que par miracle vous réussissez à vous faire comprendre, on vous indiquera au mieux une vague direction.
Concernant l'importance de la famille et le rôle du réseau de relations (les guangxi), deux piliers de la société chinoise, je n'ai pas eu l'occasion de mesurer leur importance. Je dirais quand même que la politique de l'enfant unique a modifié le fonctionnement des ménages, puisque la "famille élargie" se retrouve tout de même passablement élaguée.
Après toutes ces considérations, je me rends compte une fois de plus que je suis toujours ignorant de la manière de pensée des Chinois. Je n'ai pas réussi à vous parler de grand chose! Je commence tout juste à mesurer à quel point sous la surface les Chinois... ne pensent vraiment pas comme nous. Et que pour comprendre cette différence, il faudrait beaucoup, beaucoup de temps et de bonne volonté. Mais imaginez combien de temps pour eux, il faut pour comprendre les français ?